Ces skippers qui ont décidé de voler
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Ils sont expérimentés, ils ont participé à la dernière campagne du Vendée Globe et ils ont décidé de donner une nouvelle dimension à leur projet… En volant. Nulle envie de se brûler les ailes comme Icare, mais plutôt d’expérimenter la sensation unique de voguer à bord de ‘foiler’, de monter en puissance et de s’offrir un accessit dans la cour des grands. Parmi les skippers à opérer cette métamorphose ces derniers mois : la Britannique Pip Hare (48 ans), qui a troqué Medallia pour l’ex-Bureau Vallée 2, Arnaud Boissières (49 ans), recordman de participations consécutives au Vendée Globe (4) qui vogue désormais à bord de l’ex-Initiatives Cœur ou encore Alan Roura (29 ans), déjà deux ‘Vendée’ au compteur et actuellement à la barre d’Hublot, l’ex-Hugo-Boss d’Alex Thomson. À cette liste pourrait s’ajouter Benjamin Dutreux (32 ans) (sur l’ex 11th Hour Racing) et Fabrice Amedeo (44 ans). Certes, le skipper de Nexans-Arts & Fenêtres a conservé le même bateau, mais il a ajouté une nouvelle paire de foils, également issue d’Hugo Boss.
"Démystifier les risques techniques liés aux foils"
"C’est un sacré changement et tout est à appréhender : un nouveau bateau, une nouvelle équipe, une nouvelle façon de naviguer", décrypte Pipe Hare. Tout est différent, à terre bien sûr et en mer surtout. "On change drastiquement la façon d’aborder le projet, la préparation, et en mer, il faut réapprendre à naviguer comme si tu partais d’une feuille blanche, certifie Alan Roura. D’un coup, tu changes de catégorie et de statut. Mais ce qui est dingue, ce sont les sensations : à voler, à plus de 30 nœuds, tu as l’impression de ressentir une liberté totale".
Néanmoins, Fabrice Amedeo ne cachait pas, avant sa première course de l’année à la Guyader Bermudes 1000 Race, une forme d’appréhension : "Il y avait un réel enjeu afin de démystifier les risques techniques liées à l’usage des nouveaux foils". Ces interrogations, le skipper les a partagées avec Arnaud Boissières. "On en a pas mal discuté ensemble, reconnaît ‘Cali’. La différence me concernant, c’est que je me focalise surtout à suivre la méthodologie et la notice du bateau qui avaient été déterminées par les skippers qui m’ont précédé. Sam Davies – avec qui j’ai participé au convoyage retour de la Transat Jacques Vabre – et Paul Meilhat avant se sont attachés à explorer toutes les zones d’incertitude du bateau".
Épaulés par des skippers d’expérience
Pour prendre leurs marques, déterminer les bons réglages et gagner en confiance, ces marins se sont appuyés sur des skippers d’expérience. Ainsi, Pip s’est rendue en avril à Cascais, au Portugal, afin de naviguer en compagnie de Jack Bouttell, vainqueur de la Volvo Ocean Race, et Benjamin Schwarz (membre de Spindrift Racing). "C’était un vrai apprentissage, confie-t-elle. Ils m’ont permis de comprendre cette nouvelle façon de naviguer, d’appréhender les réactions des foils, du pilote automatique et les réactions du bateau".
Alan Roura a effectué des sorties en mer avec Alex Thomson lorsqu’il a acquis le bateau et reconnaît naviguer avec plusieurs personnes expérimentées. "C’est important de se confronter à un autre regard, ça aide à comprendre le bateau et à apprendre aussi ». Fabrice Amedeo a également bénéficié de l’expertise technique des équipes d’Alex Thomson lors de l’installation de sa nouvelle paire de foils. Et pendant les premières navigations, c’est Vincent Riou, vainqueur du Vendée Globe et de la Transat Jacques Vabre, qui est venu lui donner un coup de main. « Cela m’a permis de trouver le bon curseur en mer, de gagner en sérénité, confie-t-il. En quelques navigations à ses côtés, j’ai eu l’impression d’apprendre énormément ».
"Naviguer, naviguer et naviguer encore"
Pour tous, un constat semble implacable et c’est Arnaud Boissières – qui a notamment navigué avec Xavier Macaire en début de saison - qui le formule : "La meilleure façon de prendre en main un bateau, ça reste de naviguer, naviguer et naviguer encore". Il n’empêche, l’appréhension n’est jamais très loin. Une pression à "vouloir bien faire" qui n’est pas liée aux sponsors, ni au besoin de résultat, mais surtout aux skippers eux-mêmes. "La pression, je me la suis mise tout seul en voulant acheter ce bateau fabuleux, ajoute "Cali", mais c’est une bonne pression, elle est naturelle quand on est un compétiteur".
Lors de la Guyader Bermudes 1000 Race disputée début mai, ils ont souvent fait preuve de prudence, loin du rythme des meilleurs. Cali a terminé 12e, Alan 15e, Pip 17e et Fabrice 19e... « Cette première course était très intimidante, reconnaît Pip. À bord, ça n’arrête pas, il y a beaucoup de changements de voile, c’est très sollicitant et cela reste une responsabilité de naviguer à bord de tels bateaux". Ainsi, hors de question de jouer avec les limites, tant les enjeux de la saison sont nombreux avec la Vendée Arctique - Les Sables d’Olonne, la Route du Rhum et les milles à emmagasiner en vue du prochain Vendée Globe.
L’expérience "aide à ne pas faire n’importe quoi"
Un autre critère intervient alors : la sacro-sainte expérience, si précieuse au large pour faire face aux aléas, résoudre une situation et surtout continuer sa route coûte que coûte. Et quand on a déjà participé au Vendée Globe, celle-ci est d’autant plus précieuse. "Forcément, cela ajoute une dose de confiance, reconnaît Pip Hare. Je n’ai pas peur de la météo, je me sens à l’aise sur l’eau et ça, ça ne change pas. Après, la façon de faire est identique, cela reste des bateaux ! Savoir que l’on peut affronter les conditions qu’on a rencontrées pendant le Vendée Globe, ça aide à tout aborder en étant moins stressé".
"L’expérience te permet aussi de ne pas faire n’importe quoi quand tu te fais dépasser, sourit Arnaud Boissière. Sur un long parcours et quel que soit le bateau, il faut savoir rester zen et attendre son heure". Derrière les mots, on sent chez ses habitués des embruns l’envie d’en découdre, de revivre la fièvre des courses et l’excitation de la confrontation. Voilà qui promet pour cette 2e Vendée-Arctique.