Au cœur de la tempête
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Les femmes et les hommes de mer ont leur propre perception du temps. En mer, il y a l’action avant tout et le récit ne vient qu’après. Les dix-sept concurrents à avoir franchi la porte de l’Islande, devenue depuis hier la ligne d’arrivée, l’ont démontré à leur manière. Aux vacations de ce midi, Éric Bellion (COMME UN SEUL HOMME Powered by ALTAVIA) avait enfin le temps de mettre des mots. Il parle de « remontée extrêmement musclée », de cette mer formée, de son bateau qui « penchait presque à 90° ».
« C’était dangereux pour le bateau »
« J’ai pensé plusieurs fois à abandonner », confie-t-il. « J’ai réussi à trouver des ressources que je ne soupçonnais pas pour continuer ». Sa plus grosse frayeur ? Une collision évitée de peu avec Sébastien Marsset (Cap Agir Ensemble) par 40 nœuds de vent. La VHF a crépité des deux côtés, les bateaux se sont fait face, les manœuvres et le sang-froid des deux skippers ont évité le pire. « C’est comme si tu étais à vélo et tu fonçais dans le talus pour éviter une voiture », sourit Sébastien Marsset.
Et puis il y a les derniers milles, le vent de travers à plus de 40 nœuds et la mer déchaînée à affronter au près. « C’était dangereux pour le bateau, assure Alan Roura (7e). J’ai réussi à faire sonner toutes les alarmes du bateau ». Éric Bellion parle « du pire », Sébastien Marsset, ironiquement, évoque « un cadeau bonus avec des conditions pas possibles ». Le sommeil n’est plus une option, la concentration est exacerbée, les corps et les coques bousculés comme jamais.
Arrêter la course, « la décision à prendre »
Si aucun problème structurel n’a été à déplorer sur les bateaux, les pépins se sont accumulés. La grand-voile de Giancarlo Pedote (Prysmian Group) s’est déchirée, celle d’Isabelle Joschke (MACSF) aussi. La navigatrice a préféré abandonner pour « ramener son IMOCA à Lorient en sécurité ». Arnaud Boissières a fait le même choix, évoquant la décision « d’un marin prudent avant tout ». « Je ne veux pas endommager davantage mon matériel ». Vendredi, Manu Cousin avait également rebroussé chemin et décidé d’abandonner. Pour le skipper de Groupe SETIN, c’est un crève-cœur plus qu’un aveu d’échec : il n’avait jamais abandonné depuis son arrivée en IMOCA en 2017.
Les choix des skippers et leur ressenti, aussi, en disent beaucoup sur la difficile décision de l’Organisation d’arrêter la course à cette porte d’Islande. « C’était la décision à prendre », certifie Jérémie Beyou (Charal, 2e). « Avant même qu’elle soit prise, j’avais informé mon équipe que j’allais m’abriter parce que c’était trop tendu, assure Sébastien Marsset. Il n’y avait pas 15 000 autres solutions ». « Personne ne peut se rendre compte de la difficulté des conditions qu’on a dû affronter », poursuit Éric Bellion.
Chez les dix-sept skippers qui ont franchi la ligne d’arrivée, c’est la délivrance. Et au bout de ce combat solitaire contre les éléments, c’est la nature qui offre le plus beau des cadeaux. « La côte est magnifique, abonde Alan Roura. Ce paysage se mérite mais il vaut le détour ! » « Quand j’ai passé la ligne et que j’ai regardé à travers le cockpit, je voyais les côtes, les sommets enneigés et les oiseaux », poursuit Éric Bellion. Lui qui a failli abandonner y puise une énergie aussi indescriptible que la dépression qui s’est abattue sur la flotte. « J’ai la certitude d’être là où je voulais être. Cette passion totale est extraordinaire ». Et elle est partagée, surtout, par tous les aventuriers de cette Vendée Arctique-Les Sables d’Olonne.